Steeve, un premier combat dur à gagner

Steeve, un premier combat dur à gagner

20 février 2017

Jeunesse et sports Société

Steeve est un puncheur et un très bon encaisseur.

Steeve est un puncheur et un très bon encaisseur.

À bientôt 23 ans, Steeve est en train de réaliser son rêve : gagner sa liberté grâce à la pratique assidue de la boxe. Cet ancien délinquant, incarcéré à de multiples reprises pour faits de violence, s’en est sorti grâce à sa volonté, au travail d’une éducatrice de la Protection judiciaire de l’enfance et de la jeunesse, et à la confiance de ses coaches.

« Faut pas vendre la peau de l’ours… mais s’il continue à se montrer régulier, je pense qu’on peut arriver à sortir quelqu’un de très bon niveau », estime Jean-François Tyaketou, l’un des deux coaches de Steeve, un jeune qui revient de loin… Un univers familial particulièrement violent, des bagarres précoces. Fiché comme délinquant dès l’âge de 13 ans, quand la Protection judiciaire de l’enfance et de la jeunesse* commence à le suivre. Plusieurs placements (en foyer, famille d’accueil, sur la terre paternelle à Lifou…) n’y changeront rien. À partir de 16 ans, il entame une série d’allers retours derrière les barreaux où il se taille vite une solide réputation. Sales besognes, agression de surveillants, rien n’atténue la violence qu’il porte en lui. « Dès que ça montait, il fallait que je passe à l’acte, je n’arrivais pas à contrôler mes émotions. Aujourd’hui, c’est différent. Quand tu prends des coups pendant deux heures à l’entraînement, après tu n’as pas envie d’aller te battre ! »

Décembre 2015 : Véronique Guimar’ho, éducatrice protection judiciaire, s’occupe d’un jeune détenu (aujourd’hui libéré) qui partage la cellule du jeune caïd. Il lui parle de cet ami d’enfance, mordu de boxe. À l’époque, Steeve, qui purge une peine de trois ans, bénéficie d’une autorisation quotidienne de sortie de deux heures, dans le cadre de sa recherche d’emploi. Un jour, Véronique reçoit un coup de fil. Steeve. « Aidez-moi à pouvoir boxer ! J’en rêve ! », lui lance-t-il. « Je n’ai pas pris sa demande très au sérieux. Je lui ai répondu que j’allais voir ce que je pouvais faire et… je n’ai rien fait du tout, avoue-t-elle. Je devais d’abord tester sa motivation ». Un mois après, son téléphone sonne à nouveau. Steeve insiste. « Alors je suis entrée en contact avec son éducatrice au SPIP qui m’a confirmé qu’il était obnubilé par la boxe. » Mais pour le SPIP, priorité à l’insertion, pas forcément au sport.

Des gants avec de la mousse de matelas et des bouts de chiffon

Au Camp-Est, Steeve s’entraîne comme un forcené. « Quand je suis arrivé en prison, la boxe anglaise existait déjà, mais de façon plus sauvage », se rappelle-t-il. Avec ses collègues, il se fabrique des gants de fortune à l’aide de mousse de matelas entourée de bandes de chiffon ou de bouts de couverture. Les combats se déroulent dans la cour de promenade. Taches de sang sur le sol, visages tuméfiés, pas mal de casse. Les souvenirs remontent : « La boxe m’a appris à être plus sociable. J’avais beaucoup de problèmes avec l’alcool et les drogues. J’étais bloqué, je n’avais pas de volonté, toutes ces bêtises de jeune m’empêchaient de faire le bon choix. Depuis, j’ai tout arrêté. » Les sorties en boîte de nuit aussi. Peur des rencontres peu recommandables, des représailles, de voir resurgir les embrouilles du passé. « Et puis j’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes. »

Comme Lukas, surveillant au centre pénitentiaire et licencié au Boxing Club du Mont-Dore (BCMD), là où enseigne la même Véronique, monitrice de boxe thaï et anglaise. « Il m’a dit que Steeve était un gamin qui valait vraiment le coup. C’est à partir de là que les choses ont bougé. » Véronique suggère à Jean-François Tyaketou, responsable du Boxing Club de Dumbéa (BCD), et Jean-Paul Lethezer, son homologue au BCMD, une prise en charge collective. Le comité régional est tenu informé de l’initiative. « Nous avons décidé d’essayer de le remettre dans le droit chemin, se souvient Jean-François, par ailleurs sélectionneur territorial. La boxe c’est ça, le respect, l’humilité. Et il a tenu bon. Aujourd’hui, il est sérieux, gentil, y’a rien à dire ».

Liberté conditionnelle en juillet 2016

Demande est faite à la direction du Camp-Est et au SPIP de libérer Steeve en soirée, aux heures d’entraînement. Le jeune boxeur vient de décrocher un stage dans une boulangerie du Faubourg-Blanchot. L’aménagement de peine finit par lui être accordé en mars 2016. Deux fois deux heures par semaine. Tous les mardi et jeudi, Véronique passe le chercher, l’accompagne à la salle de Koutio et le redépose le soir devant la prison. « On a commencé par le tester en boxe éducative. » Pas de combats, juste des assauts. Juillet, Steeve bénéficie d’une remise de peine. Et retrouve la liberté, conditionnelle. « Ils ont accepté, à condition que je me fasse suivre par le centre d’addictologie. J’ai donné ma parole au juge que j’allais arrêter mes conneries. »

Parallèlement, le jeune boxeur abandonne l’idée d’embrasser la carrière de boulanger, aux horaires incompatibles avec les contraintes de l’entraînement. En septembre, il signe une licence d’amateur au BCMD, et dispute son premier combat international trois mois plus tard lors du gala de boxe de l’anse Vata, face à un géant australien, effilé mais expérimenté. Il gagne aux points. « J’étais aux anges ! » Revanche le lendemain, et défaite. « J’aurais pu remporter le combat, j’étais plus agressif que lui, mais moins technique. Au premier round, j’ai écouté les consignes, les deux suivants je me suis laissé dépasser par mes sentiments. » Péché de jeunesse…

Les Golden Gloves en août à Brisbane

Depuis, Steeve a déniché un nouvel emploi, dans la climatisation, et signé un contrat d’apprentissage. En mars, il débutera une formation en alternance avec le CFA de la Chambre de métiers et de l’artisanat. Difficile de jongler entre cours, boulot et boxe, « mais je vais me débrouiller pour y arriver, pour aller à l’entraînement le plus souvent possible ». Le temps qu’il obtienne son permis, Véronique continue de le véhiculer jusqu’à Koutio. Et le ramène le soir chez sa mère, à Tuband. « Il ne cesse de me remercier et fait preuve d’un grand respect. Il est convaincu qu’il nous doit beaucoup, alors que c’est lui qui a fait le plus gros du travail. »

Prochaines étapes, le gala organisé par le comité régional de boxe, en avril ou mai, puis les Golden Gloves en août à Brisbane, un tournoi de quatre jours. Les choses sérieuses commencent, avec, en ligne de mire, les Jeux du Pacifique 2019 aux Tonga. Véronique pense que son protégé peut devenir champion territorial d’ici à deux ans et passer professionnel dans la foulée. Lui ne s’enflamme pas : « J’y pense souvent, ça dépendra des résultats. Mais je n’oublierai jamais ce que Jean-Paul Lethezer m’a dit un jour : ”Même si tu ne deviens pas champion de Nouvelle-Calédonie, ton combat à toi, tu l’as déjà gagné” ».

 

* Ce service, aujourd’hui organisé en direction, vient en aide aux 13-18 ans. À leur majorité, ils sont pris en charge par le Service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP)

 

 

Steeve (à droite), auprès de Véronique qui a remué ciel et terre pour lui donner sa chance, et de Lukas, gardien au Camp-Est et boxeur, récemment passé pro et parti en France.

Steeve (à droite), auprès de Véronique qui a remué ciel et terre pour lui donner sa chance, et de Lukas, gardien au Camp-Est et boxeur, récemment passé pro et parti en France.

 

 

 

Entraînement, salle du Boxing Club de Dumbéa, avec Kiki, l’un de ses deux coaches.

Entraînement, salle du Boxing Club de Dumbéa, avec Kiki, l’un de ses deux coaches.

 

 

 

Un puissant crochet du droit

Au Camp-Est, Steeve a perdu une quinzaine de kilos qu’il a en partie gagnés en muscles. « C’est un puncheur dont les coups font mal. Un super encaisseur aussi, qui ne met pas un genou au sol facilement, affirme Véronique. Il a une très jolie boxe et possède de nombreuses qualités qu’il n’exploite pas encore entièrement ». Son point fort : un puissant crochet du droit. « Je fais tout pour améliorer le gauche », indique l’intéressé. « Steeve a eu de bonnes bases avec Lukas, qu’il a peaufinées depuis, confirme Jean-François, son coach à Koutio. Aujourd’hui il a atteint un bon niveau, même s’il reste parfois un peu fougueux. Mais quand on est jeune, on a souvent envie de chercher le KO tout de suite ! » Gagner à l’usure et aux points, pas aux poings, n’est effectivement pas trop son truc ! « Il faut qu’on lui apprenne à boxer à distance, poursuit Véronique. Et qu’on l’aide sur le plan psychologique. Steeve n’a pas encore complètement confiance en lui ».

 

À son tour de tendre la main

« Le parcours de Steeve démontre pleinement que la question du temps de l'éducation, de la rééducation et de la réinsertion est cruciale », constate Christiane Tetu-Wolff, directrice de la Protection judiciaire de l'enfance et de la jeunesse (photo). Le jeune boxeur connaît les règles du jeu, il n’ignore pas que la route est encore semée d’embûches et qu’à la moindre entorse au contrat moral passé avec ses coaches, au premier coup sous la ceinture, il risque gros. « Personnellement, s’il trahissait sa parole, je serais intransigeante et déchirerais sa licence », assène Véronique qui a remué ciel et terre pour le sortir du bourbier. Avant d’ajouter : « Il a très peur de nous décevoir, mais j’espère qu’il sera son propre garde-fou et qu’il parviendra à tourner une page de son histoire s’il arrive à se faire un nom ». En attendant, Steeve prêche la bonne parole auprès des ados de son quartier qu’il éduque aux vertus apaisantes de la boxe, comme un grand frère. Une façon de tendre la main à son tour. « J’aimerais aussi que les jeunes avec qui je m’entraînais en prison viennent à la salle, confie-t-il. C’est pas des mauvais gars, ils n’ont pas tué, pas violé. Juste des bagarres qui ont mal tourné ».

 

Steeve, un premier combat dur à gagner